Au sortir du premier confinement, les annonces gouvernementales promettaient l’amélioration des conditions d’exercice dans le secteur du soin et de la santé. Depuis, rien n’a changé dans les faits et aux louanges mielleuses du printemps s’est substituée une pression redoublée des directions à l’encontre des personnels.
Au printemps, le gouvernement annonçait qu’il avait pris bonne note de ce qui venait de se passer et qu’il en tirerait les enseignements. Avez-vous bénéficié d’une amélioration de vos conditions de travail ?
Non, car nous travaillons dans le secteur privé et depuis de nombreuses années nous subissons le mépris et les reproches incessants du Directeur de l’Ehpad, donc nous ne nous faisions aucune illusion.
Nous en sommes toujours au même point, nous manquons de personnel, les tâches supplémentaires se multiplient, nous devons faire toujours plus avec moins de moyens à notre disposition. Rien n’a changé ! Le harcèlement moral met le personnel à bout et pousse certains au « burn out », ce qui entraîne au final la démission de soignants compétents. Les arrêts maladies sont de plus en plus souvent non remplacés ou remplacés par du personnel non formé et sans expérience donc moins cher à rémunérer pour la direction. La conséquence pour les titulaires, c’est une charge de travail supplémentaire avec tout ce que cela induit en cascade : arrêts maladie pour épuisement physique, mais aussi des blessures souvent irréversibles telles que tendinites chroniques, sciatiques, hernies discales, arthrose, douleurs articulaires, musculaires, troubles musculo-squelettiques, hypertension artérielle, dépression …
Tu parles de harcèlement moral, peux-tu préciser ?
Le directeur recourt aux menaces de licenciement sans motif avéré, use en permanence de termes désobligeants, dégradants et méprisants envers certains membres du personnel et particulièrement envers les femmes. Il emploie un vocabulaire sexiste et qualifie des collègues de « mères pondeuses » parce qu’elles ont fait le choix d’avoir un enfant. Les jeunes femmes qui reviennent de leur congés maternité, peuvent si elles le demandent, bénéficier d’un aménagement de leur temps de travail, afin de concilier leur rôle de mère et leur vie professionnelle. Mais comme cela gène l’organisation mise en place par la direction, celle-ci leur impose un nouveau planning plus contraignant que soulageant.
Et le directeur ne s’en tient pas là, il fait des difficultés à certains collègues qui souhaitent poser des congés et, au passage, en favorise d’autres. Parfois, il impose les congés sans réelle logique de fonctionnement. À plusieurs reprises, il s’est acharné contre une soignante qui, à elle seule, a en charge douze résidents en unité Alzheimer. Elle doit gérer d’innombrables tâches : mettre aux toilettes les résidents, les surveiller, éviter les conflits, gérer l’agressivité, prévenir les risques de chutes, s’occuper de la vaisselle, de la lessive, de la désinfection, de l’animation, de la décoration de l’unité en fonction des divers périodes de l’année, etc… Elle doit en plus distribuer les médicaments à la place de l’infirmière qui n’a pas le temps car, elle-même, est débordée.
L’investissement ne suit pas. Et depuis toutes ces années qu’on nous contraint aux économies, il est légitime de se demander où est passé l’argent et à quoi a-t-il bien pu servir ? De toutes les façons, un directeur d’Ehpad ne réfléchit pas en soignant, simplement parce qu’il n’est pas soignant. C’est un gestionnaire et ses priorités ne sont pas compatibles avec la nécessité de soin.
Justement, revenons sur vos conditions de travail depuis mars
On a vécu une situation peu commune et on n’a pas hésité à s’investir car de toute manière nous n’avions pas le choix. Nous avons cumulé les heures supplémentaires, nous nous sommes exposées physiquement pour mettre en place une unité COVID et limiter la contamination, nous avons ressenti l’épuisement et nous estimions légitime de recevoir un peu de considération. En retour, le directeur a profité de notre implication pour promouvoir ses intérêts personnels et se faire tirer le portrait dans la presse locale. Son comportement est irrespectueux, il met systématiquement en doute nos compétences et le travail que nous fournissons.
Comment réagit le personnel ?
Le malaise est profond mais pour le moment il n’y a ni grève ni action collective. Il y en a déjà eu auparavant alors espérons que cela se reproduise. En attendant, en réunion, nous avons très clairement exposé notre point de vue et nos revendications à la direction.
Tu peux nous parler de vos revendications ?
D’abord la reconnaissance de la dimension humaine de notre travail et de ce que cela implique concrètement et matériellement. Dans un Ehpad, travaillent côte à côte : des infirmier(e)s, des aides soignant(e)s, des aides médicaux psychologiques, des animatrices, des agent(e)s du service hospitalier, des agent(e)s du bio-nettoyage, des personnels de cuisine, des agents d’entretien des locaux et des espaces verts et des agents administratifs ; tous sont indispensables et se doivent de se faire confiance, de travailler en équipe, de partager et d’échanger. De ce travail collectif dépend le bien être des personnes âgées.
Nous avons donc dit à la direction que cela ne semblait pas être sa priorité car elle accorde plus d’importance aux apparences et à l’image que renvoie l’établissement qu’à ce qui s’y passe réellement ; qu’elle préfère acheter des tableaux coûteux pour décorer les murs des couloirs plutôt que d’investir dans du matériel indispensable comme des matelas alternating, des adaptables ou tout ce qui permet la prise en charge des résidents.
Nous lui avons signalé que les salles de bain devaient être aménagées et adaptées aux besoins des personnes à mobilité très réduite. Une partie du matériel comme les adaptables et les fauteuils roulants n’est plus fonctionnelle, ce qui entraîne la mise en danger du résident.
Toujours par soucis d’économie la direction ne fait pas réparer les lève-malades lorsqu’ils tombent en panne. Cela oblige le personnel soignant à réaliser les transferts à la force des bras au risque de se blesser.
Alors que nous manquons régulièrement de matériel de désinfection et d’hygiène, nous refusons d’entendre que nous utilisons trop de gants jetables, trop de papier essuie-main, que nous changeons trop régulièrement les lits, que nous mettons trop de linge à laver. On hallucine d’entendre un directeur d’Ehpad ne pas comprendre que des personnes âgées se salissent en mangeant, qu’elles ont des problèmes d’incontinence d’autant plus importants qu’elles arrivent en structure de plus en plus dépendantes et avec des pathologies multiples.
Quelles réponses vous ont été apportées par la direction ?
Il n’y a pas de discussion, ni d’échange possibles. Un soignant ne peut pas faire de proposition pour améliorer les soins ou la prise en charge des résidents car il est considéré comme incompétent en la matière. La direction tient à maintenir une hiérarchie stricte entre les salariés. Elle insiste bien sur le fait qu’à ses yeux il y a une différence entre l’infirmière, l’aide soignante, le personnel de nettoyage, etc. Plusieurs fois nous avons constaté une différence de traitement entre l’infirmière et l’aide soignante qui est systématiquement sanctionnée quand la première bénéficie toujours du doute. C’est pire encore pour le personnel d’entretien et celui du ménage …
Et avec les familles comment cela se passe-t-il ?
Elles sont très exigeantes, méfiantes et menaçantes, peu enclin à la compréhension. Nous avons signalé au directeur qu’il soutenait systématiquement les familles quand nous étions confrontés à des agressions, des reproches ou des réclamations. Dans ces cas là, il ne cherche pas à savoir si les plaintes sont justifiées ou non, il tranche d’office pour la culpabilité. Il est plus à l’écoute des familles que des soignants.
Au final, on en revient toujours à une question d’argent car celui qui paie a forcément raison …
Interview réalisée dans les Hauts de France, le 18/11/2020